Discussions numériques (Number Talks)

Cet été, j'ai participé au MOOC (Massive Open Online Course) How to Learn Math offert par Jo Boaler, de la Stanford University.  Elle y a traité des perceptions de l'intelligence et des stéréotypes qui ont des impacts souvent dévastateurs sur les parcours d'apprentissage des élèves, de l'anxiété en mathématique, de ce que signifie "faire de la mathématique", et de certaines approches efficaces pour encourager le développement du raisonnement.  Parmi ces approches, les Number Talks , que j'ai décidé de traduire sous l'expression Discussions numériques.

Jo Boaler pointait vers quelques références, en présentant l'exploitation des discussions numériques au primaire, au secondaire et à la formation des futurs maîtres, dont l'ouvrage de Sherry Parrish que je me suis depuis procuré.  Je présenterai ici d'abord les repères (rationale) qui sous-tendent l'importance d'animer des discussions numériques en classe, puis certainement quelques exemples, qui j'espère seront rapportés d'expérimentation en classe.

Dans notre programme de formation, le sens du nombre et des opérations contribue au développement de la compétence à Raisonner, notamment par l'exploitation des propriétés des opérations et par les habiletés d'estimation et de calcul mental.  Le curriculum mathématique, particulièrement au primaire et au début du secondaire, doit se déplier de façon à soutenir la numératie des élèves, afin que ceux-ci puisse manipuler des nombres usuels avec justesse, efficacité et flexibilité.

Acuracy denotes the ability to produce an accurate answer; efficiency refers to the ability to choose an appropriate, expedient strategy for a specific computation problem; and flexibility means the ability to use number relashionship with ease in computation. (Parrish, Number Talks, 2010, p.5)

Les discussions numériques mettent en scène des problèmes qui se résolvent mentalement, et sur lesquels porteront une discussion qui peut durer entre 5 et 15 minutes.  Le choix du problème s'élabore autour des idées-clés que l'on veut exploiter: la composition ou décomposition des nombres, leur construction dans notre base 10, l'exploitation d'une propriété d'une opération (par exemple, la commutativité de la multiplication), etc.  Et la discussion en classe sert de lieu pour partager des stratégies et réfléchir sur leur justesse, efficacité et flexibilité, avec comme objectif de soutenir l'expression du raisonnement et la construction du sens du nombre et des opérations. Et ceci est facilité si on fait appel à des représentations bien choisies (droite numérique, représentation rectangulaire, ...) pour supporter le raisonnement.

Aspects à considérer pour l'animation de discussions numériques:

  1. Environnement de classe orienté vers l'apprentissage, où tous accueillent avec intérêt et respect les erreurs car ce sont des occasions d'apprendre et de réajuster des conceptions erronées sur les nombres et les opérations,
  2. Échanges mathématiques pendant lesquels les élèves peuvent:
    1. énoncer et clarifier leur raisonnement,
    2. entendre et tester les stratégies des pairs pour vérifier si elles sont adéquates,
    3. défendre et justifier leurs stratégies, et expliquer aux pairs pourquoi ces dernières n'étaient parfois pas adéquates,
    4. investiguer et appliquer des relations et propriétés des opérations ou des nombres,
    5. élaborer leur propre répertoire de stratégies efficaces,
    6. et prendre des décisions relativement à l'efficience de stratégies en lien avec un problème spécifique.
  3. Rôle de l'enseignant centré sur l'apprentissage des élèves, sur le développement conceptuel, en étant un facilitateur d'échange, un questionneur, à l'écoute et en apprentissage de la diversité des approches, souvent intuitives, proposées par les élèves (Comment as-tu obtenu ce nombre? Pourquoi as-tu...?),
  4. Calcul mental, sans papier et crayon, afin d'appuyer les calculs sur les relations et propriétés des nombres et des opérations plutôt que sur l'algorithme traditionnel qui se structure aisément à l'écrit, mais plus difficilement en calcul mental car il solliciterait la mémorisation d'un trop grand nombre de valeurs,
  5. Choix ou planification du problème en fonction d'un concept ou d'une relation au coeur de l'intention pédagogique (par exemple, l'exploitation de la double distributivité dans 23 x 31 = 20 x 30 + 3 x 30 + 1 x 20 + 1 x 3 via la représentation rectangulaire d'un produit) et design d'une séquence de discussions numériques pour rendre explicite une ou des stratégies efficientes.

Ces différents aspects sont liés à plusieurs éléments du PFEQ-math, notamment les composantes "Former et appliquer des réseaux de concepts et processus mathématiques" et "Réaliser des démonstrations ou des preuves" de la C2, et la composante "Interpréter ou transmettre des messages à caractère mathématique" de la C3 (j'ai retenu les formulations du 1er cycle du secondaire, mais on retrouve des équivalents pour le primaire et le 2e cycle du secondaire).  Les discussions numériques sont donc des occasions riches de favoriser le développement des compétences des élèves.

Lorsqu'elle présentait l'importance de la compréhension conceptuelle en sens du nombre et des opérations, Jo Boaler a expliqué le processus de compression.  En mathématique, elle l'illustrait par le fait que la compréhension conceptuelle d'un élément (par exemple la suite des nombres) permettait d'élaborer un autre concept (le principe additif), puis un autre concept (la somme, puis l'addition répétée, puis la multiplication, etc.), et qu'avec la conceptualisation des derniers éléments en relation avec ceux qui précèdent, il y a compression vers le dernier concept, celui-ci occupant un "espace cognitif" moindre si on le compare à une accumulation additive d'idées l'une sur l'autre.  Les élèves en difficulté ont rarement eu l'occasion de compresser des idées, car cela s'appuie sur une compréhension conceptuelle qu'on n'a pas forcément attendu d'eux et auxquelles ils n'ont pas souvent été exposés, et une façon de réduire cet écart entre les élèves en difficulté et ceux qui réussissent mieux est justement de mettre les premiers en contact avec les raisonnements des seconds, de les soutenir dans l'expression de leurs raisonnements, notamment lors de discussions numériques.

Il est facile de dire que les élèves ne savent pas compter, exécuter des calculs simples.  Mettre en oeuvre des stratégies pour supporter le développement de leur sens du nombre et des opérations n'est pourtant pas inaccessible.  Ça ne prend qu'un peu de planifications, de temps, et de pratique à animer des discussions numériques.  C'est l'un de mes projets: travailler avec des enseignants pour expérimenter cette approche avec leurs élèves. C'est donc avec un À suivre que je clos ce billet.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Forte corrélation entre attitude et réussite en mathématique

Test pour l'écriture d'équations mathématiques